Ambara Dolo
L’ « aristocrate intellectuel » de l’après-guerre
Lors des missions Griaule de 1946, 1948 et 1950, Ambara Dolo est tour à tour l’interprète et l’informateur de Germaine Dieterlen et de Solange de Ganay. Ces deux ethnologues l’interrogent plus particulièrement sur le déroulement des rites et le symbolisme des autels dogon. Et lorsqu’elles l’emploient comme interprète, elles apprécient ou se plaignent, selon les circonstances, de ses constantes digressions ou de ses interprétations foisonnantes. Pendant qu’elle questionne le vieil aveugle Ogotemmêli, Ganay écrit ainsi en décembre 1946, sur l’une de ses fiches [15] : « Difficile de traduire avec Ambara qui ne pose pas [de] questions directes et se perd dans 1000 explications de traduction au lieu de répondre [du] tac au tac ».
De 1952 à 1955, Ambara redevient l’interprète principal de Marcel Griaule en pays dogon, en l’absence du sergent Koguem Dolo [16]. Dès lors, il participe de façon déterminante à la construction d’une version unique et homogène de la cosmogonie dogon : il traduit, explicite, commente, complète, ordonne et unifie les propos des trois informateurs privilégiés de Griaule – Ongnonlou, Yébéné et Manda – afin de donner à leurs discours la cohérence souhaitée. Il est également l’auteur ou le coauteur d’un grand nombre de dessins symétriques et soignés qui servent à authentifier, expliquer et synthétiser tel ou tel épisode mythique. Certaines de ces figures géométriques sont d’ailleurs présentées comme des croquis de démonstration, tandis que d’autres sont qualifiées de dessins rituels. Dans l’ouvrage issu de ces enquêtes, Griaule et Dieterlen insistent eux-mêmes sur le rôle essentiel joué par Ambara :
Il a non seulement traduit les dires des informateurs, mais il a apporté à l’enquête un très grand nombre de renseignements qui témoignent d’une connaissance profonde des structures sociales et religieuses des Dogon ; il a réalisé et commenté un très grand nombre de figures rituelles reproduites dans ce volume [17].
À partir de 1952, Ambara accompagne également Griaule et Dieterlen lors de leurs enquêtes sur les rives du Niger ou du Bani, dans les villages bambara, bozo et peuls. Après la disparition de Griaule en février 1956, il devient le collaborateur le plus proche de Dieterlen qu’il suit fréquemment à l’étranger, en Côte d’Ivoire, au Ghana ou en France [18]. De 1956 à 1969, il travaille également pour la fille aînée de Griaule - Geneviève Calame-Griaule - lors de ses recherches sur la parole, sur la littérature orale ou sur les serrures dogon [19]. Il meurt en 1971 ou 1972 et sa levée de deuil, en 1974, est filmée par Jean Rouch [20].