Cinéma ethnographique
Quelques comparaisons : les films d’Aupiais et d’O’Reilly
Deux films, proches des siens, ont peut-être inspiré Griaule, mais les similitudes que l’on observe entre ces oeuvres peuvent également résulter d’une influence commune : celle de Marcel Mauss et de ses cours d’ethnographie descriptive. Dans les documentaires de Griaule, d’Aupiais et d’O’Reilly, on retrouve en effet les mêmes objectifs maussiens : l’archivage urgent des sociétés « traditionnelles », l’enregistrement exhaustif d’un rituel ou d’un procès de fabrication, la restitution d’une cohérence religieuse et sociale, ou encore la clarté et la sobriété des faits exposés. Or les trois réalisateurs cités sont d’anciens élèves de Marcel Mauss.
Le père Francis Aupiais, missionnaire au Dahomey (actuel Bénin), a suivi les cours de l’Institut d’ethnologie en 1927 avant de revenir au Dahomey pour y filmer les manifestations religieuses avec l’aide d’un des opérateurs des Archives de la planète, Frédéric Gadmer. Le 14 janvier 1931, il présente à la Société des africanistes trois séquences rituelles extraites de ses rushes sur le Dahomey religieux : « l’imposition du nom, la divination et le sacrifice à la tête » chez les « Somba » [96]. En tant que secrétaire général adjoint de la Société des africanistes, Griaule assiste vraisemblablement à cette projection, quelques mois avant le départ de sa seconde mission africaine. À son retour, ses films, comme ceux d’Aupiais, soulignent la religiosité des populations étudiées, la richesse de leur culture, et le caractère majestueux de leurs rituels.
Le père Patrick O’Reilly est lui aussi un ancien élève de Mauss envoyé dans l’île de Bougainville pour y faire sa thèse et pour rapporter des objets au Musée d’ethnographie du Trocadéro. Son documentaire, Bougainville, est issu des rushes tournés entre août 1934 et février 1935 par l’opérateur Pierre Berkenheier [97]. Il existe d’ailleurs deux versions de ce film : un long métrage muet, non commercialisé, et un court-métrage sonorisé. Si Bougainville est trop tardif pour avoir influencé les films de Griaule lors de leur tournage, il peut avoir inspiré leur montage. Les documentaires des deux réalisateurs ont notamment pour point commun des commentaires continus servant de fil conducteur.