Cinéma ethnographique
Les nouveaux films produits en 1942
En 1942, Griaule réalise encore trois documentaires [67] d’une durée de treize à quinze minutes à partir des images tournées en pays dogon en 1935, à l’exception d’une courte séquence prise au cours de Dakar-Djibouti. Ils sont tous produits par la Société des films Sirius et n’ont pas de lien avec un projet d’exposition ethnographique. L’un d’eux, Voyage au Pays Noir, n’est cité que dans les Titres et travaux de Marcel Griaule (1943) et nous reste inconnu. Les deux autres, archivés par Gaumont Pathé [68], sont des variantes des précédents : Le Soudan mystérieux est la version longue et remaniée de Sous les masques noirs, tandis que Technique chez les Noirs reprend de nombreuses images d’Au pays des Dogons selon un montage différent et avec l’ajout de plusieurs scènes inédites.
Ces nouveaux films se différencient des premiers courts-métrages de Griaule sur plusieurs points : l’absence de texte déroulant, la disparition de tout commentaire glorifiant l’action coloniale de la France, et un générique privilégiant l’équipe de production au détriment de l’opérateur cinématographique, jamais mentionné [69]. En outre, dans les titres comme dans les commentaires de Griaule repris en voix-off par le speaker, les Dogon ou la falaise de Bandiagara ne sont jamais mentionnés alors qu’ils sont au centre de ces documentaires. Il n’est question que de « Noirs » ou de « Soudanais » vivant dans « l’un des plus beaux chaos » rocheux de l’Afrique occidentale française. Curieusement, seuls les « ennemis héréditaires » de ces mystérieux « Noirs » sont nommés, en l’occurrence les pasteurs peuls, alors qu’ils sont invisibles à l’écran. Ce flou volontaire sur la population et la région concernées permet sans doute de présenter à un large public la vie et l’« âme » d’authentiques Africains, agriculteurs et animistes, par opposition aux Peuls éleveurs et musulmans. Au début du film Le Soudan mystérieux, les commentaires de Griaule sur l’âme cachée du Soudanais [70] renforce d’ailleurs cette vision essentialiste.
Dans le même documentaire, de nouvelles informations ethnographiques sur les Dogon apparaissent en dépit de la disparition de toute référence directe à cette population. En voix-off, plusieurs formules d’encouragement adressées à tel ou tel masque sont déclamées en français pour accompagner les images de danseurs masqués. Elles sont toutes tirées de la thèse de Griaule Masques dogons, publiée en 1938 [71]. Dans le documentaire précédent, Sous les masques noirs, ces louanges à « la gloire des masques, la force des antilopes, l’agilité des lièvres… » étaient simplement évoquées en quelques mots.