Cinéma ethnographique
L’opérateur Roger Mourlan et la mission Sahara-Soudan (1935)
En 1935, Marcel Griaule organise et dirige la mission Sahara-Soudan pour compléter les enquêtes et les collectes menées en pays dogon lors de son précédent passage en 1931. Afin de faire aboutir son projet de film ethnographique, après les résultats décevants de Dakar-Djibouti, il mise cette fois sur un jeune caméraman professionnel, Roger Mourlan, âgé seulement de vingt-deux ans. Cet opérateur était déjà connu des milieux scientifiques grâce à son film sur Madagascar tourné en 1932 lors de la mission naturaliste de Georges Petit, sous-directeur du Muséum national d’histoire naturelle [45]. À son retour, il réalise un documentaire sur la faune et sur les populations locales, présenté notamment à la Société des africanistes le 8 février 1933. De la pellicule de son film, il tire également de somptueux clichés exposés en juin au Musée d’ethnographie du Trocadéro et publiés simultanément dans l’ouvrage Madagascar [46]. Impressionné sans doute par l’expérience de Mourlan et par la beauté de ses images, Griaule le convainc de se joindre à la mission Sahara-Soudan pour tourner sous sa direction un documentaire sur les Dogon.
Mourlan dispose de trois caméras 35 mm adaptées au reportage (Bell and Howel, Kinamo et Debrie interview) et de 6 000 mètres de film Gevaert [47]. Il en tourne 3 000 [48] durant les deux mois de son séjour en pays dogon en suivant les ethnographes lors de leurs enquêtes et de leurs tournées collectives.
De février à mars 1935, il filme d’ailleurs les mêmes scènes que celles photographiées par les autres membres de la mission, à l’exception de quelques plans fixes sur le travail d’une potière dogon et d’un tisserand [49]. Ces images, propres à Mourlan, suggèrent que celui-ci a reçu des consignes pour réaliser un documentaire exhaustif conforme aux attentes de Griaule et aux enseignements de Mauss, alors que l’étude des techniques artisanales n’est déjà plus la priorité des ethnographes en 1935.
Mourlan a également pour mission de rapporter de belles images des cérémonies dogon les plus spectaculaires : la sortie des masques et les combats simulés lors des rituels funéraires. Le 12 février, il part à pied avec Lutten pour filmer des funérailles à Iréli, à environ six kilomètres de leur campement de Sanga.
Puis quelques jours avant son départ du pays dogon, Griaule paie de grandioses danses masquées afin d’obtenir des conditions de tournage idéales. Dans une lettre datée du 19 mars 1935, Denise Paulme écrit à Michel Leiris [50] : « […] dans une heure les masques danseront sur la place Tay, pour le cinéma de Mourlan. Ô ironie d’une reconstitution commandée par des ethnographes […] ». Il s’agit d’ailleurs de la plus importante reconstitution organisée par les missions Griaule : du 17 au 19 mars, des centaines de participants originaires de différents villages viennent avec leurs masques pour danser devant le campement et sur la place publique [51].
Grâce à cette chorégraphie sous contrôle, Mourlan peut filmer au plus près les masques et les musiciens : caméra à la main, il s’accroupit ou s’allonge devant les masques ou les musiciens pour les saisir en gros plan ou en contre-plongée, comme le prouvent plusieurs photographies.