Cinéma ethnographique
Un projet avorté de documentaire grand public (1930-1931)
Lors des préparatifs de l’expédition ethnographique Dakar-Djibouti, Griaule, chef de mission, cherche à nouveau à obtenir la collaboration d’une grande firme cinématographique afin de réaliser en chemin des films de qualité. Le projet initial déposé en mai 1930 à l’Institut d’ethnologie était pourtant moins ambitieux : à ce stade, Griaule prévoyait simplement la participation de l’opérateur Claude Pingault, directeur d’une société d’appareils photographiques et cinématographiques [12]. C’est au cours de l’été que Griaule évoque pour la première fois la possibilité d’un recours à une société de cinéma, pour des raisons budgétaires notamment, mais à condition de pouvoir encadrer et diriger le travail des caméramans afin de préserver le leadership du chef d’expédition, la cohésion de son équipe et la portée scientifique des scènes filmées [13]. Pour négocier un accord avec les sociétés de production, Griaule laisse agir Georges Henri Rivière, sous-directeur du Musée d’ethnographie du Trocadéro et administrateur parisien de la mission Dakar-Djibouti.
Le 19 septembre, Rivière prend d’abord contact avec le producteur André Daven, l’un des représentants français de Paramount, afin de convaincre la firme américaine de réaliser à ses frais deux types de film au cours du voyage de Griaule [14]. Les opérateurs de Paramount tourneraient librement, pour le compte de leur société, un reportage grand public sur l’expédition proprement dite, à l’instar du film Paramount sur la mission antarctique de Richard Byrd en 1928, mais ils réaliseraient aussi, « sous la direction du chef de mission », des films « purement scientifiques » dont la propriété reviendrait au Muséum national d’histoire naturelle et à l’Institut d’ethnologie. Selon Rivière, une telle collaboration permettrait de produire d’« admirables documentaires sonores et parlants » non seulement sur « les indigènes et leurs coutumes », mais aussi sur le milieu géographique et sur la faune [15].
Anticipant un peu vite l’accord définitif de Paramount, le premier communiqué de presse de la mission Dakar-Djibouti prévoie ainsi, au début du mois d’octobre 1930, la réalisation d’un grand nombre de films sur « les populations et la faune africaines » [16]. Or, après une longue période d’incertitude, David Souhami annonce en décembre le retrait de Paramount France, dont il est l’administrateur délégué [17]. En janvier 1931, Griaule sollicite alors la participation de la société Gaumont, mais, fin mars ou début avril, les négociations échouent là encore [18].
Griaule et Rivière doivent donc renoncer à ce projet alors qu’ils espéraient donner davantage de publicité à la mission et à l’ethnologie grâce à un film attrayant conciliant ethnographie, exploration et aventure [19]. À l’époque, deux documentaires à succès leur servent de modèle : celui de Léon Poirier sur la croisière noire Citroën de 1924-1925, raid automobile transafricain qui a largement influencé Dakar-Djibouti, et L’Afrique vous parle, tourné par les américains Paul Hoeffler et Walter Futter entre Lagos et Mombasa lors de l’expédition Colorado-Afrique de 1928-1929. Ce second long métrage sort en France début avril 1931 et l’agenda de la mission suggère que les membres de Dakar-Djibouti assistent à l’une de ses premières projections [20]. Quant à Rivière, il écrit un compte rendu enthousiaste de ce film parlant en prédisant que la mission Dakar-Djibouti rapportera à son retour « un film aussi passionnant » [21].