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à la naissance de l’ethnologie française

Les missions ethnographiques en Afrique subsaharienne (1928-1939)

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À l’origine du Club des explorateurs : l’amour du Risque (1937-1938)

Le Club des explorateurs. Une aventure au croisement de la science, du voyage et du sport

À l’origine du Club des explorateurs : l’amour du Risque (1937-1938)

En France, à la fin du XIXe siècle, il existait déjà une Société des explorateurs français présidée à l’époque par le colonel Parfait-Louis Monteil, explorateur africaniste dans sa version militaire et conquérante. À la fin des années 1930, la conquête coloniale est achevée depuis longtemps, mais l’attrait pour les expéditions lointaines demeure dans un esprit d’aventure et de découverte plus scientifique ou humaniste.

 

Comme l’explique Olivier Sirost dans un article paru en 2009 [1], le projet de création d’un Club des explorateurs émerge à l’été 1937 dans la revue Le Risque dont le rédacteur en chef est Henri Lauga. Sous-titrée « Magazine bimensuel de la jeunesse et du plein air », cette revue fait le lien entre les savants et les « aventuriers du plein air »[2], c’est-à-dire entre le savoir scientifique et la culture populaire des voyages.

Lors de la réunion suivante, en juillet, les participants proposent d’intituler leur association « La Rose des vents : Cercle des explorateurs et des voyageurs ». Toutefois, c’est un titre différent qui est finalement adopté le 29 juillet : « Club des explorateurs et des voyageurs ». En revanche, une autre décision prise en juillet va être respectée : jusqu’à sa disparition en avril 1938, le bimensuel Le Risque devient l’organe de liaison entre les membres du Club et « le public de ceux qui suivent avec intérêt et sympathie leurs voyages, leurs missions ou leurs expéditions » [5]. La revue relaie régulièrement les dernières nouvelles du Club des explorateurs ou de ses membres : nouveaux élus, conférences, voyages ou expéditions en cours, composition des nouveaux comités de direction... Elle publie aussi les récits de voyage ou les biographies des membres de l’association, avec des textes sur Paul Coze, Paul-Émile Victor, Henri Lhote [6], ou encore des articles de Jean-Paul Lebeuf et de Paul-Henry Chombart de Lauwe sur leur expérience de terrain au moment de la mission ethnographique Sahara-Cameroun (1936-1937) [7].

 

À sa création fin juillet, ce Club est dirigé par un comité de seize membres avec à sa tête Louis Audouin-Dubreuil (président), Bernard de Colmont (vice-président), Gabrielle Bertrand et Henri Lauga (secrétaires). Ce comité comprend non seulement les participants à la réunion du 10 juillet, mais aussi l’ethnologue Paul-Émile Victor, la voyageuse et photographe Ella Maillard, le journaliste Edgard Roland-Michel et les époux Jo et Roger Tourte, globe-trotters adeptes du camping [8]. D’autres membres actifs rejoignent très rapidement l’association, à l’été ou à l’automne 1937, en particulier le naturaliste et ethnographe saharien Henri Lhote, le couple d’ethnologues américanistes Jacques et Georgette Soustelle, l’explorateur des confins tibétains Louis Liotard, le voyageur reporter Gaëtan Fouquet (promoteur des auberges de jeunesse), le navigateur solitaire Marin-Marie, l’alpiniste Jean Deudon ainsi que trois membres de la quatrième mission Griaule : l’aviateur Georges Guyot et les ethnologues Jean-Paul Lebeuf et Paul-Henry Chombart de Lauwe [9].

 

Début 1938, Guyot et Chombart de Lauwe sont en outre élus au nouveau comité de direction du Club des explorateurs, en compagnie notamment du couple Soustelle et de Paul Coze [10]. Par ailleurs, Jean-Paul Lebeuf et Georges Guyot participent à la première grande conférence collective – « Le monde vous parle » – organisée par le Club des explorateurs à la Salle Pleyel, le 17 décembre 1937. Les treize conférenciers, tous membres du Club, relatent devant une salle comble leurs récentes expéditions effectuées aux quatre coins du globe par terre, par mer ou par air. Comme le suggère l’affiche de présentation assimilant ces treize communications à un « documentaire parlé » [11], cette manifestation grand public présidée par le ministre de l’Éducation nationale cherche à conjuguer vulgarisation scientifique et récits de voyages formateurs.

 

Plus généralement, l’objectif explicite du Club des explorateurs est de contribuer à l’enrichissement et à la diffusion « de la connaissance de l’homme et de la nature »[12] en jouant un rôle intermédiaire entre la société savante et l’association de tourisme ou de loisirs de plein air. Le Club a d’ailleurs deux catégories de membres : les « membres actifs », soumis à une élection, sont des « explorateurs » ou de grands voyageurs ayant déjà fait leurs preuves, tandis que la qualité de simple adhérent est ouverte à tous les amateurs de voyages, de « sport de plein air » ou de « sciences de l’homme et de la nature », à condition d’être parrainée par un membre actif [13].

 

Dans leurs articles publiés dans Le Risque [14], les ethnologues Chombart de Lauwe et Lebeuf assument eux-mêmes une double position d’aventuriers et de savants, comme la plupart de leurs collègues masculins des années 1930. Ils racontent de façon vivante les « imprévus » ou les « risques » de leurs enquêtes de terrain au Cameroun, mais ils soulignent également la rigueur et l’intérêt scientifique de l’ethnographie. Entre le récit circonstancié de sa traversée d’une rivière en crue et l’évocation d’une « performance » aérienne, en l’occurrence la traversée du Sahara en été, Chombart de Lauwe insiste par exemple sur le travail méthodique de traitement des matériaux de terrain au retour d’une mission ethnographique :

 

Comme ces aventures le prouvent, l’ethnographie n’est pas une science de laboratoire. Mais il faut, après le retour en France, étudier longuement les documents recueillis pêle-mêle, regarder, comparer, se renseigner sur les régions voisines, cataloguer les faits, établir les vocabulaires d’après les notes linguistiques. Le nombre de fiches ethnographiques rapportées par les membres d’une mission peut atteindre plusieurs milliers. Le dépouillement de ces notes demande des mois, quelquefois des années [15].

1.Olivier Sirost, Le Club des explorateurs français : des pratiques de plein air aux musées, in Jacqueline Christophe, Denis-Michel Boëll & Régis Meyran (dir.), Du folklore à l’ethnologie, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2009, pp. 113-123.2.Voir Olivier Sirost, ibid., p. 115-117.3.Théodore Monod, Comment fut "vaincu" le Sahara, Le Risque, n° 1, 10 juin 1937, pp. 10-13.4.Bertrand Flornoy, Ils étaient 12 assis en rond comme autour de la Terre, évoquant leurs aventures. Ainsi naquit un jour le Club des explorateurs, L’Intransigeant, 13 août 1937, p. 2. Sur cette réunion du 30 juin, voir également Le Risque n° 3 du 10 juillet 1937, p. 22.5.Le Risque n° 4 du 25 juillet 1937, p. 22.6.P.-H. Dalbret, Paul Coze, Le Risque, n° 6, 25 août 1937, pp. 2-5 ; P.-H. Dalbret, Paul-Émile Victor. Le solitaire du Groënland, Le Risque, n° 10, 25 octobre 1937, pp. 2-6 ; P.-H. Dalbret, Henri Lhote, Le Risque, n° 13, 10 décembre 1937, pp. 2-7.7.Paul-Henry Chombart de Lauwe, Les imprévus de l’enquêtes ethnographiques, Le Risque, n° 11, 10 novembre 1937, pp. 6-10 ; Jean-Paul Lebeuf, Les risques de l’enquête ethnographique, Le Risque n° 18, 25 février 1938, pp. 2-6.8.La liste des fondateurs est fournie dans Le Risque n° 5 du 10 août 1937, p. 23.9. Sur l’élection de ces nouveaux membres, voir Le Risque du 10 août (n° 5), du 25 août (n° 6), du 25 octobre (n° 10) et du 10 décembre 1937 (n° 13). Pour de plus amples informations sur les membres des missions Griaule mentionnés dans ce texte, se reporter aux notices biographiques du site : http://naissanceethnologie.fr/personnes.10. Le Risque n° 17 du 10 février 1938, p. 21.11.Le Risque n° 13 du 10 décembre, p. 23.12. Le Risque n° 9 du 10 octobre 1937, p. 1. Voir aussi Le Risque n° 19 du 10 mars 1938, p. 1.13.Le Risque n ° 9 du 10 octobre 1937, p. 21.14.Voir note supra pour les références de ces deux articles.15.Paul-Henry Chombart de Lauwe, Les imprévus de l’enquête ethnographique, Le Risque, n° 11, 10 novembre 1937, pp. 6-10, ici p. 9.