L’histoire singulière de la collection Lebaudy-Griaule
La vocation d’une collection publique à l’université
La clause de cession est claire, la collection doit servir, sous la responsabilité d’un établissement d’enseignement supérieur et de recherche, à la formation des étudiants, ainsi qu’à celle de tout citoyen.
Fidèle à cet engagement, Dominique Zahan introduit masques et statuettes dans ses cours dès 1964 car, pour ce disciple de Griaule, la formation des ethnologues passe encore par l’examen de la culture matérielle[16]. Une autre raison explique l’intérêt qu’il porte à ce fonds : constituée en majorité d’objets rituels, cette collection coïncide parfaitement avec ses orientations théoriques, fortement influencées par l’anthropologie symboliste.
Zahan présente également cette collection au grand public avec les expositions L’art africain en 1964, puis L’art Nègre en 1967[17]. Entre ces deux dates, l’espace dénommé salle Lebaudy-Griaule, en hommage à ses fondateurs, est inauguré en 1966 et présentera jusqu’en 1991 une exposition permanente du fonds.
Après le départ de Zahan en 1968, la collection est plus ou moins oubliée jusqu’en 1996. Ses successeurs à la direction de l’Institut, soucieux de transformer le Certificat d’ethnologie en une formation complète, négligent la mise en valeur du fonds. Ce désintérêt illustre également les orientations théoriques que prit la discipline, lesquelles la poussèrent à s’éloigner de l’étude de la culture matérielle et du modèle muséal.
À la suite d’une expertise de la collection réalisée en 1996, un groupe de bénévoles s’engage dans sa valorisation. Après plusieurs mois d’investigations, le contrat de cession des objets est retrouvé auprès de Mme Zahan. Dès cet instant, le fonds acquiert le statut de collection publique. L’Institut d’ethnologie prend alors conscience des missions qui lui incombent et demande l’inscription du projet de valorisation de la collection dans le contrat quadriennal 2001-2004, en vue notamment d’en réaliser l’inventaire[18]. L’ensemble des opérations fut mené dans un local de conservation approprié que la collection, faute de moyen, fut contrainte de quitter en 2007. Depuis, elle est en attente d’un espace adapté[19].
En 2003, la responsabilité de la collection est confiée à Roger Somé, Professeur en anthropologie de l’art à l’Université de Strasbourg. Ses investigations contribuent à rétablir la véritable histoire du fonds constitué en réalité de trois ensembles : outre le fonds Léon Morel résultant d’un don en 1967, Somé démontre l’existence, au sein de la dite collection Lebaudy-Griaule, d’un troisième ensemble légué en 1991 par Pierre Malzy. La dénomination Lebaudy-Griaule est alors remplacée par l’appellation générique de collection ethnographique de l’Université de Strasbourg[20].
Toutefois, l’identification de ces deux fonds, Morel et Malzy, venus enrichir ultérieurement la collection en provenance de Cabrerets, ne permet pas de dissiper toutes les zones d’incertitudes relatives à l’existence, dans l’ensemble Lebaudy-Griaule, d’objets relevant d’aires culturelles non visitées par la mission Niger-Lac Iro, notamment deux masques gelede yoruba (2002.0.261 et 2002.0.262) du Bénin, des masques gouro (2002.0.264 et 2002.0.265) et baoulé (2002.0.263) de la Côte-d’Ivoire.
Les recherches entreprises dans le cadre du Doctorat de l’auteur démontrent que la collection Lebaudy-Griaule, au moment de son exposition à Cabrerets et de son expédition à Strasbourg, n’est pas seulement le résultat de la mission de 1938-1939. Elle comprend également des artefacts provenant d’expéditions ultérieures de Marcel Griaule, auxquelles Jean Lebaudy apporta aussi son soutien[21] – notamment un masque imina na et des cagoules dogon[22]–, ainsi que des dons de particuliers venus enrichir les collections du château-musée entre 1942 et 1962. Toutefois, en l’absence d’inventaire muséographique tenu à Cabrerets, il est difficile de déterminer avec exactitude la provenance de ces objets venus compléter la collection initiale réunie en 1938-1939[23]. Par conséquent, identifier l’origine exacte de tous les objets constituant le fonds Lebaudy-Griaule, tel qu’il est aujourd’hui conservé à la collection ethnographique de l’UDS, paraît problématique[24]. En ce sens, des interrogations sur ce fonds persistent encore à l’heure actuelle[25].