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à la naissance de l’ethnologie française

Les missions ethnographiques en Afrique subsaharienne (1928-1939)

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La vocation d’une collection publique à l’université

L’histoire singulière de la collection Lebaudy-Griaule

La vocation d’une collection publique à l’université

La clause de cession est claire, la collection doit servir, sous la responsabilité d’un établissement d’enseignement supérieur et de recherche, à la formation des étudiants, ainsi qu’à celle de tout citoyen.

 

Fidèle à cet engagement, Dominique Zahan introduit masques et statuettes dans ses cours dès 1964 car, pour ce disciple de Griaule, la formation des ethnologues passe encore par l’examen de la culture matérielle[16]. Une autre raison explique l’intérêt qu’il porte à ce fonds : constituée en majorité d’objets rituels, cette collection coïncide parfaitement avec ses orientations théoriques, fortement influencées par l’anthropologie symboliste.

 

Zahan présente également cette collection au grand public avec les expositions L’art africain en 1964, puis L’art Nègre en 1967[17]. Entre ces deux dates, l’espace dénommé salle Lebaudy-Griaule, en hommage à ses fondateurs, est inauguré en 1966 et présentera jusqu’en 1991 une exposition permanente du fonds.

 

salle1966.jpg

Après le départ de Zahan en 1968, la collection est plus ou moins oubliée jusqu’en 1996. Ses successeurs à la direction de l’Institut, soucieux de transformer le Certificat d’ethnologie en une formation complète, négligent la mise en valeur du fonds. Ce désintérêt illustre également les orientations théoriques que prit la discipline, lesquelles la poussèrent à s’éloigner de l’étude de la culture matérielle et du modèle muséal.

 

À la suite d’une expertise de la collection réalisée en 1996, un groupe de bénévoles s’engage dans sa valorisation. Après plusieurs mois d’investigations, le contrat de cession des objets est retrouvé auprès de Mme Zahan. Dès cet instant, le fonds acquiert le statut de collection publique. L’Institut d’ethnologie prend alors conscience des missions qui lui incombent et demande l’inscription du projet de valorisation de la collection dans le contrat quadriennal 2001-2004, en vue notamment d’en réaliser l’inventaire[18]. L’ensemble des opérations fut mené dans un local de conservation approprié que la collection, faute de moyen, fut contrainte de quitter en 2007. Depuis, elle est en attente d’un espace adapté[19].

 

En 2003, la responsabilité de la collection est confiée à Roger Somé, Professeur en anthropologie de l’art à l’Université de Strasbourg. Ses investigations contribuent à rétablir la véritable histoire du fonds constitué en réalité de trois ensembles : outre le fonds Léon Morel résultant d’un don en 1967, Somé démontre l’existence, au sein de la dite collection Lebaudy-Griaule, d’un troisième ensemble légué en 1991 par Pierre Malzy. La dénomination Lebaudy-Griaule est alors remplacée par l’appellation générique de collection ethnographique de l’Université de Strasbourg[20].

 

Toutefois, l’identification de ces deux fonds, Morel et Malzy, venus enrichir ultérieurement la collection en provenance de Cabrerets, ne permet pas de dissiper toutes les zones d’incertitudes relatives à l’existence, dans l’ensemble Lebaudy-Griaule, d’objets relevant d’aires culturelles non visitées par la mission Niger-Lac Iro, notamment deux masques gelede yoruba (2002.0.261 et 2002.0.262) du Bénin, des masques gouro (2002.0.264 et 2002.0.265) et baoulé (2002.0.263) de la Côte-d’Ivoire.

 

 

Les recherches entreprises dans le cadre du Doctorat de l’auteur démontrent que la collection Lebaudy-Griaule, au moment de son exposition à Cabrerets et de son expédition à Strasbourg, n’est pas seulement le résultat de la mission de 1938-1939. Elle comprend également des artefacts provenant d’expéditions ultérieures de Marcel Griaule, auxquelles Jean Lebaudy apporta aussi son soutien[21] – notamment un masque imina na et des cagoules dogon[22]–, ainsi que des dons de particuliers venus enrichir les collections du château-musée entre 1942 et 1962. Toutefois, en l’absence d’inventaire muséographique tenu à Cabrerets, il est difficile de déterminer avec exactitude la provenance de ces objets venus compléter la collection initiale réunie en 1938-1939[23]. Par conséquent, identifier l’origine exacte de tous les objets constituant le fonds Lebaudy-Griaule, tel qu’il est aujourd’hui conservé à la collection ethnographique de l’UDS, paraît problématique[24]. En ce sens, des interrogations sur ce fonds persistent encore à l’heure actuelle[25].


16.Le témoignage d’une de ses étudiantes d’alors, Érica Haddouf, est éloquent pour comprendre la conception que le Professeur Zahan avait de ces objets et qu’il souhaitait transmettre à ses élèves : « Je passe là une heure, hors du temps, à écouter le professeur parler de ces objets, de ces masques et de ces statuettes, principalement dogon. Il me révèle l’arrière-plan mythique et religieux de certains objets rituels, et, ce faisant, me donne un enseignement rare. Il me transmet une autre ouverture, un autre regard sur l’art, qui m’étaient plus ou moins étrangers jusque-là, l’art en tant que signe, symbole, voire porte à ouvrir sur l’Invisible… » (Érica Haddouf, Rencontrer un maître, L’Ethnologie à Strasbourg, 18, 1992, pp. 13-15, ici p. 13).17.Pour accéder à la liste complète des expositions de la collection ethnographique de l’UDS et pour davantage d’informations sur ces manifestations, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à la rubrique consacrée à la collection que nous avons réalisée sur le site de l’Institut d’ethnologie : http://ethnologie.unistra.fr/accueil/collection-ethnographique/.18.Outre l’inventaire du fonds, ce contrat permit de restaurer une partie des objets et d’entreprendre leur numérisation pour la création d’une base de données partiellement diffusée pour une consultation virtuelle accessible via le site Internet de la Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme d’Alsace (MISHA) : http://www2.misha.fr/flora/jsp/index.jsp (base de données « Ethno »).19.Depuis le déménagement en février 2007, réalisé par nos soins sous la responsabilité de Roger Somé – déménagement qui fut également l’occasion d’un récolement –, les objets sont entreposés dans un local « temporaire » de 9 m² à la MISHA.20.À l’issue de ces investigations, il est ressorti que sur un total de 350 artefacts, soit 471 pièces – un objet pouvant comprendre plusieurs pièces –, composant la collection ethnographique de l’UDS, le fonds Morel comptait 10 objets, soit 18 pièces, l’ensemble Malzy, 139 artefacts, soit 199 pièces, et celui Lebaudy-Griaule, 69 objets, soit 111 pièces ; 1 objet provient d’un don en 2004 du Professeur Somé. 131 objets, soit 142 pièces – dont une partie résulterait vraisemblablement de dons de professeurs - n’eurent toujours pas de provenance avérée et furent inventoriés dans « Collection non identifiée » (cf. Base de données hébergée par la Misha : http://www2i.misha.fr).21.Au sujet de la collection aménagée au château par Marcel Griaule, l’abbé Amédée Lemozi précise en 1951 : « Le tout a été recueilli en Afrique, au cours de longues et pénibles campagnes, plusieurs fois avec l’aide de M. Jean Lebaudy. Ces campagnes, d’ailleurs, se sont renouvelées avec succès, au cours des années 1949 et 1951 » (Lemozi, Historique du Musée régional du Château de Cabrerets (Lot). Activités diverses qui ont contribué à la formation et à l’expansion du Musée, Cahors, Imprimerie A. Coueslant, 1951, p. 22). Un extrait d’une lettre de Solange de Ganay adressée en 1986 à Pierre Erny, alors directeur de l’Institut d’ethnologie à l’UDS, vient également confirmer ces acquisitions ultérieures : « […] j’avais participé à plusieurs missions de M. Griaule et à celle de mon beau-frère M. Lebaudy, au cours desquelles ces objets – dont certains uniques – ont été collectés » (Fonds Solange de Ganay, sdg_A_b_01).22.Germaine Dieterlen, dans son entretien en 1991 avec Jeannine Riess, affirme ne pas avoir collecté certaines cagoules dogon de la collection de l’UDS (Jeanine Riess, Les objets dogon à Strasbourg. Approche ethnologique dans la perspective de l’École Griaule, Mémoire de DEA, Université de Strasbourg, Institut d’ethnologie, 1991).23.Deux textes nous éclairent sur l’origine de quelques dons : un article du Bulletin de la Société des études littéraires, scientifiques et artistiques du Lot, anonyme mais probablement écrit par Jean Calmon, habituel auteur de la rubrique, et sa version manuscrite avant publication, dont un passage n’a pas été publié. On lit dans le manuscrit : « […] plusieurs beaux tessons de poterie, trouvés dans le Telle d’Azor par le R.P. Mallon ; plusieurs autres fragments de vases, recueillis dans les villes ruinées des bozos de la Mer Morte (Dons de M. Le chanoine Foissac, professeur). 7°) deux belles statuettes (homme et femme), en pierre blanche, sculptées à la râpe par les indigènes du moyen Congo, - 1 beau poignard, avec gaine en cuir ouvragé, plus quelques instruments […] en silex taillé (don de M. Soladié, ingénieur en Afrique, originaire de Bouziès-Haut, Lot) » (Anonyme, Le château-Musée de Cabrerets, Lot. Nouveaux Documents, Document manuscrit pour le Bulletin de la Société des études littéraires, scientifiques et artistiques du Lot, 1953, pp. 1-2, ici p. 2, Archives départementales du Lot, Cahors, cote 335 94 1.CM); et dans l’article : « Une belle collection d’objets divers, recueillis en Afrique par le lieutenant Paganel, durant son séjour au Dahomey, Sahara, Tunisie et Algérie. […] 8°) Une grande molaire d’éléphant d’Afrique pesant plusieurs kilos (Don de M. et Mme Mussier). » (Anonyme, Au château de Cabrerets. Nouveaux documents, Bulletin de la Société des études littéraires, scientifiques et artistiques du Lot, 74 (2), 1953, pp. 134-135, ici p. 135).24.En dépit de ces incertitudes, ces recherches ont permis d’attribuer trois objets, jusqu’alors inventoriés sous « collection non identifiée », au fonds Lebaudy-Griaule et ont démontré que le manche de la hache d’apparat (2002.0.123) et le fer de la hache (2002.0.195) ne formaient qu’un seul objet ; la collection Lebaudy-Griaule passant ainsi de 69 objets et 111 pièces sur un total de 350 artefacts, à 71 objets soit 114 pièces sur un fonds universitaire comportant en réalité 349 objets, soit 471 pièces. Mais 128 objets, soit 139 pièces, restent encore répertoriés, faute de mieux, sous l’appellation « collection non identifiée ».25.Gaëlle Weiss, Création africaine et mondialisation. La collection Lebaudy-Griaule : quel rapport à la création ?, Thèse de Doctorat en Ethnologie, Université de Strasbourg, sous la direction de Roger Somé, 2015.