Mission Dakar-Djibouti
Investigations urgentes et interrogatoires judiciaires ?
Souvent pressantes ou envahissantes, les recherches collectives menées par la mission se distinguent nettement de l’observation participante, à l’exception de l’étude plus solitaire de Michel Leiris sur les génies zar, en Éthiopie. Dans les colonies françaises, Griaule revendique même, avec une pointe de provocation, des techniques d’investigation empruntées aux enquêtes judiciaires ou policières. En pays dogon notamment, les membres de la mission jouent de leur autorité de Blancs pour triompher des silences ou des mensonges présumés de leurs informateurs et obtenir ainsi des « aveux » : ils recueillent leurs « dépositions », les soumettent à des « interrogatoires », confrontent leurs déclarations et s’emportent parfois face à leur mutisme ou à leurs contradictions. Au Soudan français, ils dérobent ou « réquisitionnent » également différents objets religieux (« fétiches », masques, statuettes…).
Le contexte colonial autorise ou même favorise de telles pratiques, certes, mais sans les justifier. Toutes les méthodes évoquées précédemment – travail collectif, interrogatoires, quadrillage de l’espace, « tournées » exploratoires, recensements, vols et collectes massives d’objets – sont en partie fondées sur un paradigme disciplinaire. Pour les ethnographes du début des années 1930, leurs objets d’étude privilégiés, voire exclusifs, sont des sociétés exotiques « traditionnelles » et « authentiques » perçues chacune comme une totalité pure, fermée et figée, indemne jusqu’à présent de toute « contamination » du fait de leur isolement relatif, de leur fonctionnement holiste et de leur culture du secret. Mais en raison justement de leur incapacité supposée à évoluer et des changements induits par la colonisation ou par les nouvelles religions, ces sociétés seraient menacées à brève échéance de disparition ou d’acculturation. Selon ce point de vue, il est donc urgent de procéder à des collectes et des enquêtes ethnographiques pour archiver, dans leur totalité, ces mondes clos et immuables. C’est ce paradigme qui sert à justifier la plupart des choix méthodologiques de Griaule au moment de Dakar-Djibouti.