Mission Sahara-Soudan
Les méthodes et les thèmes d’études
Influencés sans doute par l’organisation du travail à Gondar en 1932, Griaule et son équipe transforment le campement de Sanga en « quartier général » et en laboratoire de recherche autonome. Construits à leur intention par l’administration coloniale, les douze bungalows qu’ils occupent leur servent de logement, de pôle d’enquêtes, d’atelier de peinture, de chambre noire, de centre de collecte muséographique et de plateau de cinéma (pour des reconstitutions de funérailles). Conformément à leurs attentes, l’architecture du campement et sa localisation, à l’écart du quartier dogon le plus proche, favorisent le travail d’équipe, les entretiens discrets avec des informateurs rémunérés, la répartition spatiale des activités ou des services et la centralisation des informations et des objets.
Par rapport à Dakar-Djibouti, la division des tâches, la polyvalence de chaque membre et la répartition des thèmes d’enquêtes sont toujours requises pour archiver avec rapidité et méthode l’ensemble de la culture dogon, mais la pluridisciplinarité n’est plus une priorité : aucun naturaliste, préhistorien ou anthropologue physique n’est sollicité et les enquêtes anthropométriques sont abandonnées. En raison de ses expériences cynégétiques en Afrique et malgré l’absence de formation ad hoc, Solange de Breteuil se charge des études et des collectes ethnobotaniques et ethnozoologiques. Hélène Gordon travaille sur trois thèmes ou sous-thèmes de recherche : le totémisme, le culte des ya-pilu (qui concerne les femmes mortes enceintes) et plus largement le monde féminin. Éric Lutten s’occupe principalement des études technologiques, de la collecte d’objets et du développement des photographies.
Le musicologue André Schaeffner complète son travail sur la musique, la danse et la circoncision dogon. Doyen du groupe, Marcel Larget a pour tâche principale l’intendance et l’entretien du matériel, tandis que le benjamin, Roger Mourlan, filme rituels et scènes de la vie quotidienne. Enfin, Marcel Griaule, chef de mission, coordonne les travaux de son équipe et centre ses propres recherches sur le totémisme, les jeux et les masques.
Si les pratiques de notation n’ont guère changé depuis la mission Dakar-Djibouti, certaines méthodes d’enquête et de collecte ont évolué en raison de nouvelles priorités : en 1935, l’objectif n’est plus de tout saisir de façon exhaustive, mais de découvrir les secrets et les objets les mieux dissimulés ou les plus anciens en fouillant grottes et sanctuaires ou en survolant les lieux en avion.
Lors de leurs collectes ou de leurs relevés, les ethnographes négligent désormais les ustensiles ou les vêtements de la vie quotidienne et ciblent au contraire les objets de culte anciens ou les peintures rituelles en les considérant comme des témoins clés de mythes et d’institutions millénaires.
Pour des raisons similaires, les membres de la mission Sahara-Soudan abandonnent l’observation plurielle, pourtant expérimentée en pays dogon par la précédente équipe Griaule. Au lieu de quadriller le terrain pour observer collectivement un même rituel à partir de « points de vue » différents, Griaule prend des photographies aériennes pour repérer, inventorier et cartographier les bâtiments rituels.
Il s’agit toujours de tout voir et tout enregistrer avec précision et rapidité, mais depuis les airs, en exploitant pour la première fois son expérience d’observateur aérien.