Photographie aérienne
Le pays dogon vu du ciel
Dès ses premières missions ethnographiques, Griaule favorise la photographie en plongée et les vues d’ensemble[4]. L’idée selon laquelle la vision d’en haut favorise une saisie globale des groupements humains est d’autant plus partagée que la première vision de l’Afrique est déjà, pour certains ethnologues, une vision aérienne. La première fois que Jean-Paul Lebeuf se rend en Afrique, en 1936, c’est sur un vol Air France à destination de Niamey. Il note alors qu’en avion, « d’un seul coup d’œil, on saisit ainsi l’essentiel de la vie paisiblement ordonnée des Africains »[5]. L’usage de la photographie aérienne par Griaule s’inscrit dans cette volonté de trouver dans l’aménagement du sol les traces de l’organisation sociale des populations qui l’occupent, proche en cela de la géographie humaine. S’il avait envisagé d’utiliser les archives photographiques de l’aviation coloniale lors de la mission Dakar-Djibouti[6], c’est lors de sa mission suivante (Sahara-Soudan) qu’il expérimente véritablement ce nouveau mode d’enregistrement du réel[7].
En mars 1935, un avion Potez appartenant à la troisième escadrille de l’Afrique occidentale française[8] et piloté par le lieutenant Mutin est mis à la disposition de Griaule pour deux matinées de prise de vue aérienne. Du point de vue des moyens techniques, une connexion s’établit ainsi entre l’enquête ethnographique et l’armée, entre les formes de gouvernement et le travail scientifique. En partie pour des raisons stratégiques de valorisation de la photographie aérienne, Griaule a par la suite insisté sur ce point : « De toute évidence les documents qu’elle établit constituent des instruments de travail de premier ordre pour l’Administration coloniale : gouverner un peuple, c’est d’abord le connaître »[9]. La logique de l’inventaire, constitutive de l’ethnologie française des années 1930, rencontre celle du recensement des potentialités économiques des colonies, dans la mesure où, pour l’ethnologue, ce nouvel outil doit en particulier permettre de dresser « l’inventaire de nos richesses coloniales en terres, en végétaux et en institutions humaines »[10].